DSIH : Interopérabilité : « Chaque hôpital doit reprendre la souveraineté de ses données »

Cet interview de Luc Chatty par Pierre Derrouch a été publié dans le numéro 44 du magazine spécialisé DSIH en février 2025, dans le cadre de son dossier à la une « Interopérabilité et SIH : le défi de la connexion totale ».

Les hôpitaux doivent échanger des données en temps réel, mais le manque de standardisation complique les processus, avec un impact direct sur la qualité des soins. Le standard FHIR se présente de plus en plus comme une solution de référence, déjà adoptée aux États-Unis et – sans doute – appelée à se généraliser en Europe. Luc Chatty, ingénieur biomédical de formation, spécialiste de ce standard et CEO de Fyrstain, analyse les défis liés à l’intégration de FHIR dans les établissements de santé.

Les systèmes d’information des établissements de santé actuels reposent majoritairement sur HL7 v2, un standard conçu il y a 30 ans pour un monde hospitalier en vase clos. Son fonctionnement par abonnement (en poussant des messages à un ensemble d’applications) complique la gestion des flux d’information : plus d’applications connectées signifie plus de complexité. Ce mode de communication peine à répondre aux nouveaux besoins, notamment l’intégration d’applications Web ou de services externes. L’interopérabilité n’est pas seulement une question technique : elle est aussi médicale et organisationnelle. « L’absence de transmission fluide des données médicales peut entraîner des erreurs, voire une perte de chance pour les patients parce que les bonnes données n’arrivent pas au bon endroit au bon moment », souligne Luc Chatty. Le problème est aggravé par la multiplication des bases de données dupliquées, augmentant le risque d’incohérences et d’erreurs.

FHIR permet de structurer et de standardiser l’ensemble des données de santé d’un établissement, qu’elles soient administratives, médicales, logistiques ou financières. Mais son implémentation repose sur des logiciels nativement compatibles, encore rares en France. La transition se fait donc souvent via la conversion de flux HL7 v2 vers FHIR, avec un risque de perte d’information si certaines données sont mal structurées à la source. L’utilisation de FHIR facilite aussi la recherche médicale en permettant de croiser les données de santé avec des données financières ou administratives. En Allemagne, une plateforme nationale donne aux
établissements la possibilité de partager leurs données sans les centraliser.

Des freins à lever

Malgré ses avantages, l’adoption de FHIR reste lente en France. L’Agence du numérique en santé travaille sur l’interopérabilité mais, selon l’ingénieur, son périmètre « est défini sur l’échange entre l’hôpital et le monde extérieur, quand le premier besoin est aujourd’hui, en définitive, à l’intérieur des hôpitaux ». Les efforts de l’ANS ces dernières années ont été conséquents avec une réussite majeure, le serveur multi-terminologies (SMT). Il faudra toutefois plus de moyens pour atteindre les résultats observés aux États-Unis. Certains hôpitaux ont pris ce sujet en main, et la communauté française Hospitals on FHIR, lancée par HL7 Europe, est l’une des plus actives au sein de l’Union européenne.

Le manque de dialogue entre les professionnels de santé et les informaticiens constitue un autre frein. En Belgique, des chief medical information officers, à la fois médecins et informaticiens, facilitent l’intégration des nouvelles technologies en maîtrisant les spécifications et jouent le rôle de pont entre ces deux mondes. « Tant qu’on n’aura pas cette fonction en France, les données ne seront pas d’assez bonne qualité et les projets d’interopérabilité échoueront », avertit Luc Chatty. Pour régler ce problème, la formation jouera un rôle essentiel, d’où l’engagement de Fyrstain dans le projet Xpanding Innovative Alliance (XiA) , un projet Erasmus+ visant à créer des formations sur l’interopérabilité pour préparer l’arrivée de l’Espace européen des données de santé (EEDS / EHDS).

Quel avenir pour FHIR ?

Ce sont des leviers, mais ils viennent parfois se superposer à nos propres projets. De plus, le calendrier d’Hop’en 2 nous impose de tout finaliser d’ici à juillet 2025. Il vient s’intercaler avec nos projets en cours et nous avons très peu de temps pour nous organiser. Il faut réussir à tout imbriquer dans nos plans actuels pour tenir les délais et obtenir les subventions associées.

À quand faites-vous remonter les difficultés auxquelles vous êtes exposé ? À la création des GHT ?

Les éditeurs français, qui attendent souvent des financements nationaux pour s’adapter, ont pris un retard potentiellement préjudiciable. « On risque de rater le train et de se retrouver avec des solutions développées ailleurs », prévient l’ingénieur. Les start-up, plus réactives, bénéficient de la simplicité du standard FHIR, plus facile à implémenter que les précédents. Si l’Espace européen des données de santé vise à établir un cadre d’interopérabilité pour les données médicales d’ici à 2028, l’initiative pour les autres types de données viendra probablement des établissements eux-mêmes. « Chaque hôpital doit reprendre la souveraineté de ses données et définir une stratégie claire, de la saisie à la recherche », insiste Luc Chatty, pour qui la réussite de cette transition repose sur ce prérequis.

A lire dans le n°44 de DSIH

  • Interopérabilité et SIH : heureux qui communique
  • Interopérabilité à l’hôpital : un levier stratégique pour la modernisation des systèmes d’information
  • Le CHU de Toulouse mise sur FHIR pour transformer l’interopérabilité hospitalière et fluidifier l’exploitation des données